Fanatiques... (Star Wars, R.F.E, GC2-1)

La salle du trône paraissait bien plus spacieuse, une fois ces cinquante guerriers partis.
Serduss n'avait pas vraiment encore eu le temps de la contempler. Elle était grande, assez pour accueillir une bataille, mais terriblement endommagée par les combats qui s'y étaient tenus. Les vitraux étaient brisés, le sol défoncé et jonché de débris de verre, le plafond arraché, troué par endroit, et la partie surélevée donnant vue sur les bas quartiers de Lockys s'était effondrée, emportant avec elle ses magnifiques balcons et ses plantes grimpantes. Du magnifique palais de Lockys qui avait existé pendant plus de trois cents ans, il ne restait plus qu'un vieux bâtiment en ruines.
Une horrible odeur de chair et de sang flottait dans la pièce, nombreux étaient les cadavres sur le sol. L'eau souillée de la fontaine qui chantait lugubrement au centre de la pièce se répandait sur les dalles rouges par les nombreuses fissures du réservoir.
Les partisans d'Impérator se rassemblèrent autour de Peeve, de Serduss et du conseiller.
-Commandant Peeve, commença le chevalier sans plus attendre, vous avez fait preuve d'un courage digne des plus grands chevaliers. Le maître Impérator a eu raison de vous inclure dans ses rangs, vous êtes un officier précieux. Je ferai en sorte qu'on vous sacre chevalier.
-Merci, seigneur Serduss. Mais notre combat n'est pas encore fini, répondit l'autre avec gravité.
-A ce propos, intervint le conseiller qui, trop inquiet par le combat qui l'attendait, estimait ne plus avoir de temps à consacrer aux blabla, il serait peut-être sage que l'un de vous m'entraine. Vue la taille de mon adversaire, j'ai bien peur de ne pas pouvoir tenir longtemps, encore moins sans entraînement!
-Je vais vous entraîner, seigneur Papillon, mais avant, je veux des nouvelles d'Impérator.
-Il ne va pas bien, chevalier Serduss, informa Peeve, la plupart du temps, il dort, pris par une fièvre inquiétante; et lorsqu'il ne dort pas, il délire! Il lui faut des soins importants le plus rapidement possible, ou je ne donne pas cher de sa vie.
-Dites lui que l'Empire est sauf, peut-être cela l'aidera-t-il à tenir.
-Comment? Le commandant fronça les sourcils, il ne comprenait pas.
-Ah! oui, nous avons oublié de vous préciser. La guerre contre le seigneur Cellendhyll a pris fin. Selon le conseiller Papillon, notre ennemi serait mort...
-Mais c'est formidable! s'exclama le commandant.
-Transmettez la nouvelle au maître lorsqu'il sera réveillé, il ne pourra qu'être heureux. Venez, conseiller.
-Une dernière chose, coupa Papillon, il me semble que selon les règles, quoi qu'il arrive, les chevaliers auront la vie sauve à l'issue de ce défi. Mais qu'adviendra-t-il des quelques survivants de l'armée impériale? J'en vois une bonne dizaine dont le commandant Peeve. Il est hors de question de les laisser croupir ici!
-Le prince se moque de notre sort, expliqua Peeve, s'il gagne, il nous laissera partir. Seuls les chevaliers sont concernés par ce défi.
-Bien. Le prince nous a accordé une heure pour nous préparer. Pendant qu'Elwige m'entraîne, transportez les blessés à l'extérieur. Ils ne peuvent pas rester dans une pièce pareille. L'air est vicié, le sol impur, faites leur prendre l'air frais.

L'heure du combat arriva enfin.
Papillon sentait son cœur battre de plus en plus fort, d'autant plus que le prince et ses hommes s'étaient rapprochés du lieu où le duel devait se dérouler.
Il avait le sentiment que l'entrainement ne lui avait rien apporté, bien trop court, et lui, bien trop lent, trop faible. Il s'était juste rendu compte à quel point il avait vieilli. Et l'épée n'était pas son arme de prédilection! Il la trouvait lourde, difficile à manier. Bref, ce serait véritablement amusant!
Dehors, la nuit avait jeté son voile sur la cité dévastée de Lockys. Et malgré la terrible bataille qu'il y avait eu pendant plusieurs jours, il régnait un calme tel qu'on aurait pu croire que rien ne s'était passé. Les cadavres avaient été évacués, la place lavée du sang et des débris. La pénombre atténuait les contours irréguliers des bâtiments endommagés, les débris n'étaient plus que des grosses formes sombres dans la nuit, et on ne voyait pas plus loin que les torches placées autour de la grande place. Seuls quelques points lumineux se déplaçant au loin dans les rues de la ville montrait qu'ils n'étaient pas seuls sur cette terre. Les gardes du prince continuaient à patrouiller le long des remparts.
Papillon n'avait jamais connu cette cité, il y était seulement depuis quelques heures, et il avait déjà envie de la quitter. Depuis quelques minutes, il entendait les soldats murmurer autour de lui, le combat allait commencer, disaient-ils, "l'épée désignera notre maître".
Et comme pour "achever" le conseiller, le prince s'avança au milieu du cercle qui avait commencé à se former autour de lui. Il discutait avec deux de ses hommes, il semblait attendre impatiemment que l'heure arrive.
-C'est l'heure, déclara Serduss au conseiller.
-J'arrive, dit-il à contrecœur.
Ils entrèrent dans le grand cercle, les derniers hommes rejoignirent les spectateurs. Impérator était allongé un peu plus loin, la tête posée sur celle d'une statue renversée. Jayna était à côté de lui, son visage n'était pas visible à cause de l'obscurité, mais on devinait aisément que la peur et la tristesse s'y lisaient.
-Chevaliers de l'Ordre, commença Serduss à voix haute, après s'être avancé au centre du cercle, entre les deux adversaires. Après plusieurs jours de lutte acharnée, la bataille de Lockys va prendre fin. Après plusieurs mois d'efforts et d'espoir, la campagne du seigneur Impérator va s'achever. Avant que le sang ne coule une dernière fois aujourd'hui, veuillez rendre hommage à cet homme qui a tout fait pour sauver l'Ordre de la désunion et qui, j'en suis sûr, aurait tout donné pour pouvoir se lever et prendre la place de Papillon face au prince... dans ce duel.
Il se tut et baissa la tête.
Longue minute de silence.
-Je rappelle les règles du défi, reprit-il. Il n'y aura qu'un seul vainqueur. Le combat ne s'achèvera que lorsque l'un des deux guerriers aura trouvé la mort. Aucune arme hormis l'épée du chevalier ne pourra être utilisée. Tous les chevaliers présents à ce défi devront rejoindre le camp du vainqueur et jurer fidélité à son nouveau et unique maître. C'est ainsi que notre Code défini le défi. Acceptez-vous les termes?
La foule conserva le silence, le chevalier poursuivit.
-Songez que devant vous va certainement être mené le combat le plus important de l'histoire de l'Ordre. Quoi qu'il arrive, l'Ordre aura enfin retrouvé son unité. Le vainqueur décidera de son destin. Que les deux champions se préparent!
Il s'inclina devant les deux combattants et se tourna vers le prince.
-Prince Hérald, veuillez m'accorder une faveur, dit-il d'une voix moins cérémonieuse, mais bien plus grave. Si vous remportez le défi, je ne rejoindrai pas votre camp. Le rang de prince vous revient de droit selon nos règles, je ne m'opposerai donc plus à vous. J'abandonnerai mes couleurs et mes armes de chevalier, et je m'exilerai définitivement de l'Ordre. Je ne peux trahir mon ami, Impérator, que je considère comme mon seul maître.
-Elwige Serduss, répondit le prince de sa voix d'ours, vous êtes un chevalier courageux et loyal, je regrette de ne plus pouvoir vous compter parmi mes alliés, mais vous avoir connu fut un honneur. Je vous accorde cette faveur.
Ils s'inclinèrent avec respect et gravité, et Serduss rejoignit le conseiller qui était plus pâle que jamais.
-Vous êtes prêt, conseiller. C'est pour moi un honneur immense de vous avoir servi. Notre cause dépend maintenant de vous. Ayez la force de sauver l'Ordre. Le prince est un grand guerrier, mais son équipement le ralentit, soyez plus rapide. Son point faible est au niveau des articulations, les armures sont toujours moins résistantes à ces niveaux, visez les coudes, les genoux, vous pouvez l'affaiblir.
-Il y a de grandes chances que je perde, Elwige, rompit brusquement Papillon qui ne croyait guère à sa victoire. Puisque ce sont peut-être les derniers mots que je vous adresse, je tiens à vous dire que je mène aussi ce combat pour vous. Vous faites partie d'une espèce noble et fidèle qui n'aurait jamais dû disparaitre. Si je perd, emmenez Peeve et les derniers soldats impériaux avec vous, ainsi que la jeune Jayna qui a déjà trop souffert. Si je perd, mettez fin aux souffrances d'Impérator. Il est clair que sa survie n'est plus qu'une question de minutes, ne lui imposons pas la vision de sa défaite.
-Je le ferai. Bonne chance, seigneur Papillon.

Encooooooore!!!!!

Elwige Serduss, chevalier banni, conseiller et ami du seigneur Impérator, quitta le cercle du combat et vint s'installer aux côtés d'Impérator qui avait les yeux grands ouverts.
Le prince tira son épée, Papillon déglutit avec difficulté, le cœur battant, il s'efforça de conserver une voix calme et posée.
-Prince Hérald, dit-il. Avant que le combat ne commence, je tiens à tenter une dernière fois de vous raisonner. Si vous gagnez, l'Empire deviendra votre pire ennemi, non seulement pour avoir osé le défier et l'attaquer, mais aussi pour avoir tué l'un de ses conseillers. Soyez-en conscient, car vous serez traqué sans relâche, et l'Ordre, malgré son honneur et son courage, finira par disparaitre, vous pouvez en être certain.
-Ma décision est prise, conseiller, répondit l'adversaire, j'accepte ce nouveau défi. Ce sera l'Ordre contre l'Empire. Conclut-il avec fermeté en pointant son épée vers son adversaire.
"Qu'est-ce que je fais ici? Ce n'est plus de mon âge!" pensa Papillon avec désarroi en contemplant son immense adversaire. En plus d'avoir un net avantage physique, le prince était équipé d'une armure très résistante et d'une expérience plus fraîche que celle du conseiller en matière de combat.

Un chevalier siffla le début du combat et ce fut le commencement de la fin.
Le conseiller crut un instant que son cœur allait lâcher, le prince leva son épée et se jeta sur lui. Papillon s'écarta de justesse et la lame adverse frôla son épaule droite. Il tenta de répliquer, mais trop lentement, il fut paré et le prince le jeta sur le côté d'un coup d'épaule. Papillon perdit l'équilibre et manqua à nouveau de très peu un second coup d'épée. Il se releva, le prince le tira par le poignet avec force et l'envoya valser vers les escaliers menant à la grande avenue.
Les premières minutes furent une horreur pour le pauvre conseiller qui ne cherchait même plus à taper, mais devait esquiver chaque coup en se jetant sur le côté, en s'esquintant les genoux, en mordant lamentablement la poussière. Tandis que les mercenaires ennemis riaient, les derniers partisans d'Impérator grimaçaient à chaque nouvelle attaque, s'attendant à voir le sang jaillir du corps de leur combattant.
Papillon avait terriblement honte, non seulement il avait le sentiment de décevoir ceux qui l'espéraient et de déshonorer son rang, mais il se rendait aussi compte à quel point il avait vieilli. Et dire qu'il allait certainement mourir dans ce sentiment de honte et de déception!
Mais il commença à retrouver l'habitude du combat, ses réflexes de guerrier revenaient, moins rapides, certes, mais ils revenaient. D'un revers de l'épée, le prince tenta de lui trancher la tête, mais il se baissa au bon moment et esquiva le coup presque avec facilité. Il profita de l'absence de toute garde pour se jeter sur la monstrueuse carcasse de son ennemi et le fit trébucher en arrière. Dans un fracas énorme, le grand
guerrier s'écrasa contre le sol, soulevant un épais nuage de poussière, comme si une maison venait de s'effondrer!
Le prince était essoufflé, le conseiller se releva sans peine, alors que son ennemi n'arrivait même pas à se remettre debout, à cause du poids de son armure.
Poussé par un soudain élan de dignité, Papillon n'attaqua pas et lui ordonna de se relever. Le prince y parvint , il inclina la tête, souffla un grand coup et ré attaqua, les deux épées vinrent se heurter et les lames ne se décollèrent pas l'une de autre. Les deux guerriers poussaient avec rage, donnant toutes leurs forces dans leurs bras, dans leur épée, pour essayer de faire reculer l'adversaire. Naturellement, Hérald dominait, et malgré les efforts déployés par son adversaire, il le fit reculer vers les escaliers en marbre. Vint alors à l'esprit de Papillon l'idée du coup classique, le truc tout bête qui marche pourtant à chaque fois avec les grandes brutes. En maintenant toujours son épée contre celle de son adversaire qui continuait à pousser, il se mit un peu de côté et retira son épée. Surpris de perdre tout résistance et bien trop fort, le prince perdit l'équilibre et faillit s'écraser au sol. Le conseiller en profita pour cogner, il leva son épée bien haut et l'abattit sur le genou droit de son adversaire qui plia sous la douleur. Le petit morceau de métal protégeant l'articulation gicla, Papillon voulut frapper une seconde fois sur le genou désormais dénué de toute protection, mais un coup de pied puissant le rejeta en arrière.
Le prince se redressa et hurla de colère, comme un fauve enragé. Il reçut un bon coup dans le coude et son bras gauche s'immobilisa, Papillon venait de lui faire très mal. Il ne pouvait plus remuer le bras, et il était maintenant contraint de tenir sa lourde épée uniquement de la main droite.
Le combat redevenait un peu plus équitable. Privé de son bras gauche, le prince frappait plus lentement et sa garde était de plus en plus faible. Le conseiller réussit même plusieurs fois à le frapper en plein ventre, mais l'armure était trop résistante et ne cédait jamais.
En fait, le guerrier de l'Empire commençait même à dominer. Son adversaire, blessé à la jambe et encore plus au coude, devait maintenant faire preuve d'une prudence extrême, de plus, il fatiguait.
Papillon esquiva une attaque et frappa l'ennemi un plein dos avec une telle force que la plaque métallique dorsale se brisa, les éclats, plus coupants que des poignards, se plantèrent dans le dos du prince qui hurla de douleur et de surprise. Un violent coup dans la jambe droite et le prince fut contraint de s'agenouiller.
Vint alors le moment de porter le coup final, le prince semblait exténué. Il dévisageait Papillon à travers son casque avec une dureté impressionnante pour un homme qui pouvait mourir à tout instant. Le calme était revenu. Dans peu de temps, le conseiller serait vainqueur, son adversaire était immobile, agenouillé, tout ce qu'il pouvait faire, c'est attendre que la mort arrive.
Papillon leva bien haut son épée, la lame brilla à la lueur de la lune et des torches et, devant la stupéfaction de tous, il la descendit sur l'unique partie sans protection de son adversaire: le cou!
Dans le calme de la nuit, on entendit la lame glisser dans le vent, mais un violent choc secoua les mains du conseiller et faillit lui faire lâcher le manche de son arme, le prince avait relevé son épée juste à temps, les deux lames s'étaient entrechoqués dans un désagréable -et décevant!- fracas, comme un coup de marteau sur un gong.
Les oreilles de Papillon bourdonnaient encore, mais le pire restait à venir.
Le prince éclata d'un rire sinistre et repoussa l'épée de Papillon avant d'exécuter une attaque dévastatrice qui obligea son adversaire à reculer. Le conseiller tenta de répliquer mais un revers de la main droite en plein visage le repoussa.
Sa bouche saignait, sa lèvre inférieure était ouverte. C'était horrible! Comment la situation pouvait-elle se retourner d'une telle façon? Le conseiller, lui qui était sur le point de tuer le prince, lui qui dominait après une lutte acharnée un adversaire blessé, au bras inutilisable, au genou massacré, au dos saignant, voilà qu'il se faisait maintenant enchaîner coup sur coup!
C'est à peine s'il parvenait encore à se défendre, le prince était animé d'une sorte de rage indéfectible. Papillon, à force d'esquiver les coups ennemis, fut contraint de s'approcher du sommet de l'escalier en marbre menant à l'avenue. Un nouveau coup, et il serait jeté dans l'escalier la tête la première!
Décidé à ne pas se laisser faire, Papillon attrapa fermement le manche de son épée et chargea le prince, la pointe dirigée vers lui. Son épée fut contrée une nouvelle fois, une dernière fois, car le prince la para et la fit tournoyer avec une aisance surhumaine, avant de repousser le bras de Papillon qui ne résistait plus, et de frapper un grand coup dans sa lame.
La lame du conseiller explosa, projetant des éclats de métal qui lacérèrent le corps des deux guerriers. Le conseiller et les spectateurs n'en croyaient pas leurs yeux, l'épée était brisée, inutilisable. Papillon regarda d'un air incrédule ce qu'il restait de son arme, c'est à dire un manche et dix centimètres de lame.
Le prince lui donna un violent coup de poing qui le fit tomber en arrière.
Le vieux guerrier roula dans les escaliers et ne se releva pas. Il souffrait atrocement, il avait le sentiment que tous ses membres étaient brisés.
Le prince descendait les marches calmement, l'air triomphant.
Affolé, le conseiller tentait de fuir, mais il n'arrivait pas à se relever, il n'avait pas le temps, l'autre était déjà là. Il essaya de se faire glisser en arrière avec les mains, les yeux du prince Hérald s'illuminèrent d'un regard cruel, il éclata de rire en voyant le désespoir de son adversaire à terre.
-C'est fini, messieurs. déclara-t-il à voix haute et lente, pour être sûr que tout le monde l'entende. Le conseiller a fait ce qu'il a pu.
Les spectateurs, satisfaits pour la plupart, affolés pour les autres, s'étaient approchés pour voir le drame final. Serduss était là, il regardait le conseiller avec tristesse, désespoir. Tandis que le prince continuait de discourir, de savourer sa victoire devant ce public accroché à chacune de ses paroles, à chacun de ses gestes, Papillon continuait vainement de glisser en arrière. Mais ses mains étaient trop faibles pour le
tirer contre le sol. Il sentit une horrible douleur s'emparer de sa main droite lorsqu'elle cogna contre le sol, quelque chose de froid, de coupant était entré dans sa chaire, le sang jaillissait de sa main.
Le prince mit fin à son discours et regarda Papillon d'un air étrange, comme s'il venait de se rappeler de sa présence.
-Inutile de résister, conseiller Papillon. Vous avez accepté les termes du défi. Soyez brave. Vous avez perdu, mon épée va mettre fin à vos souffrances.
Il brandit son épée bien haut et s'apprêta à l'abattre, le conseiller ne broncha pas, son visage devint dur, son regard froid, il cessa de trembler, prit par un soudain élan de courage.
C'était fini.
-Votre visage, dit-il brusquement.
-Pardon, s'étonna le prince qui retint son épée.
-Que mon tueur me montre son visage, qu'il ose me tuer en me regardant directement dans les yeux, sans une vulgaire coque de métal pour couvrir son regard. ordonna le vieil homme avec une fermeté déconcertante.
Le prince détacha lentement son casque et l'ôta, il secoua la tête pour détacher ses longs cheveux et sa grosse barbe brune.
Il leva son épée.
C'était fini.
Oui, c'était fini, car le conseiller retira alors les deux morceaux de la lame brisée sur lequel il s'était empalé la main et les lança, revigoré par cette énergie qui apparait lorsqu'il ne reste plus qu'un espoir, vers le visage du prince.
Tout se passa très rapidement, dans le plus grand silence, les yeux des spectateurs s'écarquillèrent, le prince, trop surpris, n'eut pas le temps de réagir, les mortels petits morceaux de métal coupants volèrent dans un sifflement sinistre et vinrent se planter dans la tempe gauche du prince.
Celui-ci n'eut même pas la force de crier de douleur, il lâcha son épée, leva lentement la main et la posa sur sa tempe avant de la ramener devant ses yeux. Elle était couverte de sang. On lut dans ses yeux l'étrange douleur qu'il ressentait. Son visage pâlit, il s'effondra au sol dans un fracas violent.
Le prince Hérald était mort.

Le conseiller se releva, il tremblait de peur, d'excitation et d'incrédulité.
-Le seigneur Papillon, conseiller de l'Empire, est vainqueur. annonça Serduss qui empêcha le silence de s'installer une fois de plus. Selon les règles...
Les nombreux chevaliers du défunt prince demeuraient immobiles, bien qu'on ne pouvait lire l'expression de leur visage à travers les casques, on devinait une certaine hésitation.
L'un d'entre eux s'avança lentement et posa le genoux à terre, puis tira son épée qu'il pointa en direction du conseiller, il inclina la tête très bas. Un second l'imita, puis un troisième, et un quatrième, et ainsi de suite. Tous les chevaliers, les uns après les autres, sortirent leurs armes et s'inclinèrent devant le vainqueur.
D'abord ébahi, celui-ci ne dit rien, puis la réalité lui revint à l'esprit.
-Pas pour moi! s'exclama-t-il.
Il courut en direction d'Impérator, celui-ci était adossé contre une statue, immobile, son épée était fermement coincée dans sa main gauche, comme si lui aussi venait de se prosterner devant le conseiller. Pourtant, il semblait dormir, ses yeux étaient fermés et son corps complètement inanimé. Serduss se tenait à ses côtés, le visage sombre, Jayna pleurait. Le conseiller était persuadé de l'avoir vu remuer.
-Il... il vous a dit quelque chose? balbutia-t-il en s'approchant.
-Il devait encore délirer, intervint Peeve qui approchait, ça lui prenait souvent avant de s'évanouir, ces derniers temps.
-Il était parfaitement lucide, coupa Elwige. "L'Ordre est sauvé, l'Empire a maintenant ses armes pour se défendre et vaincre. Ma campagne est finie", c'est ce qu'il a dit avant de s'endormir... une dernière fois. Il a vaguement sourit et il a fermé les yeux, comme un homme qui cherche à trouver le repos.
-Est-ce que c'est fini?
-Oui... Impérator est mort comme il a vécu, en chevalier.

En cette triste soirée d'été, toute la population de Terra attendait, silencieuse, dans les rues humides et fraîches de la capitale. Le ciel était rouge et parsemé de gros nuages roses éclairés par les derniers rayons du soleil couchant. Parmi eux se tenait un nuage plus particulier et sombre, le glorieux croiseur de guerre "Tauntaun" survolait la ville en silence.
Une fine pluie d'été commença à s'abattre sur la ville, rompant un peu la monotonie qui s'était emparée des lieux depuis un long moment. Les habitants ne quittèrent pas pour autant les rues aux pavés désormais ruisselants, ils déplièrent quelques parapluies et bâches et continuèrent à attendre dans ce silence solennel.
Enfin, la triste cérémonie commença, on entendit au loin le bruit caractéristique d'un groupe de personnes qui se rapproche, et bientôt, le cortège funéraire apparut, sous le visage ému et respectueux des habitants de Terra.
Entouré d'une longue procession composée de proches et d'officiels, de la garde de Terra, des chevaliers impériaux, d'une partie de l'équipage du "Tauntaun" et des survivants de la bataille de Lockys, le corps du jeune Impérator était tiré le long de la grande avenue sur un traîneau garnis de fleurs, pendant que la population jetait sur le cortège des pétales d'"éclats de lune", une fleur rare et réservée aux hommages funéraires.
Le défunt avait les yeux fermés. Son corps était encore parfaitement conservé, son visage semblait même sourire, comme s'il dormait comme un nourisson sous l'œil bienveillant de ses compatriotes.
Les chevaliers se mirent à battre leurs lourds tambours et tirèrent leurs épées lorsqu'ils arrivèrent à proximité du temple funéraire.
C'est là bas qu'Impérator serait enterré. La tombe qui devrait le protéger dans son sommeil éternel était déjà là, ouverte, couverte de magnifiques fleurs et d'ornements en or et cristal.
Après plusieurs hommages provenant de différentes personnalités, notamment le gouverneur de Terra, le maire de la capitale, le capitaine de la garde, le conseiller Papillon et bien d'autres, le corps fut placé dans sa tombe, et, tandis que les chevaliers entamaient un dernier chant d'adieu particulièrement vibrant par sa force et sa sincérité, le "Tauntaun" tira une longue salve de ses canons laser dans le ciel de Terra, en hommage au plus grand de ses amiraux.
Le silence revint aussitôt. Hormis les quelques oiseaux qui gazouillaient à l'extérieur et le vent qui se glissait à travers les ouvertures du temple, tout le monde s'était tût.
Un grand nombre de gens formèrent alors une file face à la tombe, et, chacun leur tour, s'approchèrent d'une lourde plaque en pierre et signèrent.
-Que font ces gens? demanda discrètement le conseiller Legoman qui se tenait à l'écart avec le seigneur Papillon, et regardait la scène avec curiosité.
-Ils sont en train de signer la plaque commémorative qui sera placée sur la tombe d'Impérator, c'est une tradition ici. Avant de ranger le mort, si vous me permettez cette expression, chaque personne se sentant obligée de le faire, vient apposer son nom sur la plaque en pierre pour rendre un dernier hommage au défunt. Voyez, le commandant Peeve lui-même est en train de le faire.
-Je vois. Dites-moi, qui est cette jeune fille juste devant lui? elle n'a pas quitté la tombe depuis son arrivée ici.
-Il s'agit de la jeune Jayna... Le seigneur Impérator l'a rencontré sur Comporellon, le soir où l'invasion ennemie commençait. Il l'a sauvé, depuis, ils ne se sont plus jamais quittés. Je crois qu'ils se sont beaucoup rapprochés l'un de l'autre ces derniers temps, et bien au delà de la simple amitié, si vous me comprenez. Mais cela ne nous concerne pas, quoi qu'il en soit, cette jeune fille ne cesse de pleurer depuis notre départ de Lockys.
-Pauvre femme! Qu'allez-vous faire pour elle?
-Avec le soutien des chevaliers et nos nouvelles sections de volontaires, nous allons récupérer Comporellon, c'est une promesse que nous lui avons fait, et nous ne pouvons permettre aux Rebelds de conserver une terre impériale. Il parait que la défense ennemie est totalement déstructurée depuis la disparition de Cellendhyll. Avec l'aide de la population locale, ça devrait aller vite, sans compter ces corsaires spatiaux qui attendent impatiemment nos ordres. Pour en revenir à la jeune Jayna, nous lui avons promis que Comporellon serait libéré et qu'elle pourra y retourner, mais selon Serduss, elle voudrait rejoindre les rangs de l'Ordre. Cela n'est pas possible pour une femme, mais Serduss a juré qu'il la protégerait, je compte sur lui pour lui faire oublier toutes ces horreurs qu'elle n'aurait jamais dû connaître.
-Ah oui! au fait, cet Elwige Serduss...
-Il a retrouvé son titre de chevalier, ainsi que tous les autres chevaliers qui ont servi la cause d'Impérator et notre empire. Le temps que l'Ordre retrouve une certaine stabilité, ce sera lui le maître. Il le mérite bien! Tiens! le voilà justement qui rend les derniers honneurs à Impérator.
-Impressionnant! s'exclama Legoman en admirant le chevalier qui exécutait avec plusieurs de ses compagnons un certain nombre de gestes à l'épée. Et quel est cet homme qui signe à son tour?
-Je n'en ai aucune idée. A voir son uniforme et son attitude, ce doit être un jeune officier de la flotte impériale...

Le mystérieux homme en question se tenait immobile, devant la plaque commémorative, et s'apprêtait à signer. Il hésitait. Le méritait-il? Il tourna la tête et vit le visage pâle et endormi d'Impérator, et il repensa au passé. Surtout à son échec, son échec cuisant qui lui avait fait perdre à tout jamais sa confiance en lui-même. La terrible scène lui revint à nouveau à l'esprit, comme toutes ses nuits où il s'était tourmenté à revivre le même cauchemar insurmontable. Il se revoyait dans la froide salle de conférence, il se revoyait face à Impérator, face à l'échec, blaster à la main, prêt à tirer. Il s'était imaginé en train de presser sur la détente, abattant froidement son rival, mais le plus souvent, c'était sur sa tempe qu'il tirait, se délivrant ainsi d'une honte insupportable. Il avait passé de trop nombreuses nuits blanches à ressasser ce souvenir douloureux, à regretter, à chercher ce qu'il aurait dû faire. Mais il ne trouva jamais, l'acceptation de l'échec semblait être
la seule possible, et c'est la seule qu'Impérator lui avait offerte dans la réalité.
Puis il songea à la dernière fois où il avait vu Impérator vivant, cela se passait très peu de temps après son échec. Comme promis, il avait été débarqué sur la première planète impériale rencontrée par la flotte hyporienne, avec les autres officiers qui composaient son ancien état-major. Et Impérator l'avait regardé une dernière fois, il lui avait même serré la main comme pour le pardonner, sans mot, avant de remonter à bord et de partir, laissant le jeune officier seul avec ses regrets. Car de la haine, il n'en éprouvait plus du tout envers Impérator, sa colère s'était rapidement transformée en déception et en honte. Il ne haissait plus personne, plus personne à part lui.
Il s'inclina devant la tombe, décidé à remercier son ancien commandant de lui avoir enseigné la terrible épreuve de l'échec, la seule qui lui manquait, et il signa de ces deux noms:
"REDRIC OSEM"


Au loin, installés dans un coin obscur du grand temple funéraire, deux chevaliers regardaient la scène d'un air sombre.
-Quand rentrons-nous? demanda le plus grand des deux, debout, la main posée sur le manche de son épée.
-Nous partirons demain matin pour Kker la Florissante. répondit l'autre.
-Qu'allons-nous faire là-bas?
-Nous installer et travailler. L'Empire nous remet le commandement de cette ville, ainsi que celle de Lockys, avec l'ordre de finir les reconstructions et de les relancer dans une vie active.
-Pourquoi l'Empire nous offre-t-il un tel cadeau? s'étonna le chevalier avec plus de suspicion que de curiosité dans le ton.
-En échange de nos services. L'Empire nous offre un toit et des vivres, nous lui offrons nos épées. Mais ce n'est pas tout, Papillon a chargé nos érudits de mener une mission particulière...
-Laquelle?
-Serduss lui a parlé de nos connaissances de cette science des gravitons. Cela a tout de suite intéressé notre maître. Je crois que celui-ci envisage d'équiper l'armée impériale de... d'Etoiles de la Mort!
-Serduss lui parle de tout! Est-il citoyen impérial ou chevalier?
-Nous sommes tous citoyens désormais. Et même chevalier, nous appartenons à l'Empire.
-Nous sommes mis à l'écart! s'exclama l'autre. L'Empire prétend faire de nous des citoyens, mais il nous enferme dans des villes isolées, il nous charge de contraintes, d'interdictions, de règles lourdes que les autres ne subissent pas. Etre chevalier est-il un crime?
-Le Grand Conseil fait en sorte de diminuer nos contraintes, le conseiller Papillon va bientôt reprendre les débats avec la Chambre Impériale. Dès qu'il sera parvenu à faire de l'Ordre une maison impériale, nous serons au même rang que les autres. Toutefois, certaines règles ne pourront disparaitre, selon lui. Le nombre de chevaliers sera limité et nous serons sous les ordres de seigneurs désignés par le Grand Conseil.
-Nous ne choisissons même plus notre propre maître!
-A ce propos, ajouta l'autre, il paraît que nous allons avoir un nouveau chef. Sur suggestion du seigneur Xandine, Papillon va remettre le commandement de notre Ordre à un jeune seigneur impérial... Rital Biker, il me semble.
-Pourquoi ce changement soudain? s'étonna le guerrier.
-Il semblerait que certains membres de l'armée impériale n'aiment pas l'idée que Papillon soit le maître de l'Ordre, vu son statut très important et son lien direct avec nous, certains craignent qu'il se serve des chevaliers pour un coup d'état.
-Un coup d'état... après tout, ça pourrait être mieux! Je n'aime pas notre situation, nous n'avons jamais connu de telles contraintes. C'est humiliant!
-Patience, répondit calmement l'autre. Nous finirons par être reconnu à notre juste valeur, l'Empire ne sait pas encore ce qu'il vient de gagner.
-Gagner?
-Oui. L'Empire nous a gagné, car nous sommes maintenant à son service. C'est notre mission, c'est pour cela que nous avons été formés. Quoi que l'Empire nous ordonne, quoi que l'Empire nous impose, nous devons obéir. L'Empereur a jadis fondé l'Ordre pour le servir lui et son Œuvre.
-Mais est-ce vraiment son œuvre? Son empire existe-t-il encore, le R.F.E n'en est-il pas une pâle copie?
-Je crois qu'il existe toujours... mais il est divisé. Le R.F.E a su recréer son corps, c'est une structure étendue et puissante qui domine de nombreux mondes et armées. Avec l'arrivée de l'Ordre, ce corps est maintenant équipé d'un poing ravageur. Mais il manque toujours un point crucial, la tête. Les citoyens du R.F.E se proclament descendants de l'Empire, ils ont recrée son corps, et nous l'avons protégé. Mais nous, nous nous disons soldats de l'Empereur... Et si aujourd'hui, c'est l'Empire qui nous impose un chef, le jour viendra où ce sera à nous, chevaliers de l'Empire, derniers descendants de l'Empire, de choisir l'Empereur et d'achever notre mission...

Resté devant la tombe encore ouverte d'Impérator, Elwige Serduss était bien trop ému au même moment pour pouvoir partager les mêmes pensées que ces deux chevaliers.
Le temple s'était progressivement vidé, même les deux conseillers étaient partis. En vérité, il ne restait plus que les chevaliers. Vêtus de leurs armures, armés de leurs épées et de leurs lances, ils formaient un cercle autour de la tombe.
L'obscurité et le silence étaient revenus, ils étaient leurs éléments. Les derniers rayons du soleil éclairaient faiblement leurs carapaces en métal.
Serduss remit son casque et poussa doucement le couvercle en pierre de la tombe, sur lequel étaient gravés les mots suivants: "Ordre", "Sécurité", "Empire". Dans un fracas symbolique, la tombe fut définitivement fermée.
Le maître reposait en paix.
Et, autour de la tombe, silencieux, respectueux, le casque sur la tête, la lance à la main, l'air fier et courageux, les chevaliers disparurent de la même manière qu'ils étaient apparus pour la première fois à Impérator... dans un vieux temple en pierres, avec les derniers rayons du soleil.